C’est l’hiver sur les plages de Copacabana. Notre délégation est logée dans un petit immeuble d’appartements au numéro 2516 de la mondaine Avenida Atlantica, séparé de la plage par une colonne de voitures ininterrompue de jour comme de nuit. La température est agréable, 24 degrés, et l’air est très humide.
Rio de Janeiro accueille le sommet mondial Rio+20, la Conférence des Nations Unies sur le développement durable (voir aussi www.uncsd2012.org). L’enjeu est de tirer le bilan des 20 ans qui ont passé depuis la première Conférence de Rio. Et il s’agit aussi de remettre tout en haut de l’agenda – après les crises financières et économiques – les thèmes qui vont changer notre société. Les thèmes qui intéressent particulièrement la délégation de l’IFOAM, la Fédération mondiale des organisations d’agriculture biologique, sont bien sûr toujours les mêmes: L’appauvrissement fulgurant et continu de la biodiversité, les répercussions du changement climatique sur la sécurité alimentaire et sur le développement économique des petits paysans, ou encore l’orientation de l’agriculture qui reste désespérément tout sauf durable, écologique et sociale.
Des souvenirs de la Conférence sur le climat de décembre 2009 à Copenhague re-montent à la surface: L’IFOAM et le FiBL avaient pour la première fois essayé de présenter les potentiels de l'agriculture biologique lors d’un grand congrès international. À Copenhague, l’hiver avait été synonyme de longues heures d’attente par moins vingt degrés, de bourrasques de neige et de chaos. Un flot de 45'000 délégués avait mené Copenhague au bord de l’implosion, et la sécurité de la grosse centaine de chefs d’états n’avait plus pu être garantie. Les hivers sont heureusement plus doux à Rio, et les gens y sont de nature gaie.
19'000 délégués se sont annoncés pour Rio+20, mais on s’attend à ce qu’il en vienne bien davantage et à ce que cela provoque un nouveau chaos. Mardi soir, la petite délégation de l’IFOAM a encore tout juste réussi à se faire enregistrer avant sept heures du soir. Rio, c’est une lutte permanente contre le trafic. Bus et taxis sont à la peine dans les embouteillages. Les lieux des conférences sont parfois à 40 kilo-mètres les uns des autres, ce qui peut signifier deux heures et demie de bus. Les Brésiliens prennent ça avec placidité, moi je dois d’abord apprendre à décélérer.
Les deux Young Organics, Pavlos le Grec et Grace la kényane, sont partout aux avantpostes. Avec son iPad, Pavlos fait sans cesse des interviews de personnages éminents comme Achim Steiner, le directeur de l’UNEP, ou avec des petits produc-teurs de légumes dans les favelas. Sur son blog (youngorganics.wordpress.com/category/rio20), «The Future we want is Orga-nic!» témoigne de son impatience. Il a raison, même si nous, les «plus chevronnés», sommes naturellement bien plus diplomatiques. Car même l’agroécologie n’a pas la partie belle à Rio. Le moment y est malvenu pour trop d’écologie. Soidisant par manque d’argent, mais les efforts publicitaire de l’agroindustrie montrent bien qu’elle continue de miser fortement sur la poursuite de l’intensification de l’agriculture.
Le groupe IFOAM-UE a développé en 2008 l’image visionnaire d’une intensification écofonctionnelle de l’agriculture (voir www.tporganics.eu). Cela signifie que les paysannes et les paysans investissent toute leur énergie dans la fertilité des sols, dans des paysages diversifiés et dans des systèmes agricoles diversifiés et riches en espèces pour obtenir de meilleurs rendements. La notion d’intensification écologique s’est édulcorée au fil des débats mondiaux, et elle signifie maintenant qu’on intensifie mais qu’on cherche à provoquer moins de dommages écologiques. Puis on s’est mis à ne plus parler que de d’intensification durable. – Pratique: Vu que chacun donne un autre contenu au mot durable, le tigre a définitivement perdu toutes ses dents.
Les scientifiques se réunissent depuis ce lundi à la Pontifícia Universidade Católica do Rio de Janeiro – PUC-Rio (www.puc-rio.br/index.html). Ah, que j’aimerais être étudiant ici! Les auditoriums, les cafeterias et les bureaux sont plantés au milieu d’une luxuriante végétation tropicale, de grands bambous et de palmiers géants.
Le Forum on Science, Technology & Innovation for Sustainable Development (voir www.icsu.org/rio20/science-and-technology-forum) se réunit cinq jours jusqu’à ce vendredi. David Steuerman, du secrétariat de la Convention on Biological Diversity (CBD) de Montréal, a dressé un bilan qui nous ramène durement à la réalité: «Nous avons lamentablement échoué! La biodiversité continue de s’appauvrir toujours plus rapidement, et aucun gouvernement ne peut prétendre à des progrès!» L’impuissance des scientifiques est palpable tout au long de la Conférence. Tout le monde est d’accord avec cette analyse toujours plus sombre, et pratiquement tous les exposés commencent ou se terminent par cette phrase maintenant célèbre: «Business as usual is no longer an option». Cette phrase figurait déjà en 2008 dans les conclusions du Rapport mondial sur l'agriculture (voir www.agassessment.org). Ce que les changements radicaux que tous reconnaissent comme nécessaires doivent être concrètement reste cependant totalement flou ou contradictoire. Je reviendrai plus tard sur mon blog sur quelques points saillants de la Conférence.
Alors, une bonne situation de départ pour l'agriculture biologique? «Les bio» sont bien connus pour avoir une solution pour tout! L’IFOAM a obtenu la possibilité d’organiser un side-event d’une heure et demie intitulé solennellement «Sécurité alimentaire et agriculture durable: L’agenda de l’après-Rio pour la science et la transmission des connaissances pour lutter durablement contre la pauvreté». André Leu, le président australien de l’IFOAM, Hans Herren de Biovision et lauréat du Prix Mondial de l'alimentation de la FAO, et Urs Niggli du FiBL, ont présenté des extraits fascinants et prometteurs des recherches en agriculture biologique. La capacité d’innovation de la recherche est époustouflante, que ce soit dans le domaine de la fertilité du sol, de la fumure organique et du compostage, de la protection phytosanitaire biologique, de la médecine vétérinaire naturelle ou de la sélection animale et végétale. Les limites viennent finalement seulement du manque de financement pour les approches de ce genre – ce ne sont pas les idées ni les chances de réussite qui manquent. Sue Edwards, de l’Institute for Sustainable Development en Éthiopie, a montré en prenant l’exemple de la province Tigray que des techniques écologiques sophistiquées peuvent sans autre être rendues accessibles à des milliers de familles de petits paysans. À condition bien sûr d’investir enfin de nouveau plus d’argent dans la vulgarisation agricole publique. L’Indien Bishwadeep Ghose, qui voyage comme «Knowledge Officer» sur mandat de l’organisation hollandaise d’aide au développement HIVOS, ne dit rien d’autre: Pour pouvoir s’adapter au changement climatique, il faut réintroduire à grande échelle des systèmes agricoles riches en espèces et dotés d’une grande robustesse – fini les monocultures, place à l’agriculture diversifiée.
Maria Fernanda Fonseca, qui travaille depuis de nombreuses années à l’institut de recherche PESAGRO, a quant à elle tordu le cou au préjugé que l'agriculture biologique ne serait bonne que pour l’exportation vers l’Europe, le Japon ou les USA. Elle a en effet présenté quatre initiatives brésiliennes basées sur le principe de l’autocontrôle responsable qui produisent des produits bio pour les marchés locaux. Le modèle de Participatory Guarantee System (PGS) développé au Brésil repose sur un principe répandu chez les scientifiques, celui de la garantie de la qualité par la peer-review, la révision par les pairs. «Au nom de quoi les paysans ne devraient-ils pas pouvoir juger si leurs collègues font de l'agriculture biologique ou pas? Pourquoi faut-il des contrôleurs externes, qui viennent souvent d’Europe ou des USA?» était sa conclusion. Les quatre initiatives brésiliennes comptent près de 10'000 membres, et le mouvement croît rapidement. Pour en savoir plus sur le PGS: www.ifoam.org/about_ifoam/standards/pgs.html.
Sébastien Treyer, de l’Institut de développement durable et des relations internationales (IDDRI) de Paris, a présenté l’actuelle réforme de la recherche agronomique internationale (GCARD, gcardblog.wordpress.com), qui vise surtout les centres CGIAR. Le Consultative Group on International Agricultural Research (www.cgiar.org) est un regroupement des principaux centres de recherches du Sud qui travaillent à l’amélioration de la situation alimentaire. Les approches agroécologiques de recherche revêtent une grande importance dans le cadre de cette réforme, et Sébastien Treyer voit dans ce contexte de nombreuses possibilités de dialogue avec la recherche en agriculture biologique.
Rio+20 va bientôt se terminer. Les espoirs de changements existent mais tout le monde affiche un optimisme plus que prudent. Le choc de la Conférence sur le climat de Copenhague hante encore tous les esprits.
Je reviendrai très vite sur mon blog pour présenter une manifestation sur les connaissances agronomiques de la communauté scientifique académique, mais aussi une initiative de l’IFOAM et du FiBL pour obtenir un renforcement de la recherche en agriculture biologique.
Urs Niggli, 15.6.2012, 11:59
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Urs Niggli, Directeur FiBL Suisse