Pendant sa période de postdoc à l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPF), Philippe Matile habite chez sa famille dans la ferme biodynamique Breitlen d’Emil et Alice Meier à Hombrechtikon proche de Zurich. En tant que phytophysiologiste, il est étonné que cette exploitation agricole fonctionne aussi bien sans apport supplémentaire d’engrais minéraux.
En 1966, il rapporte ses observations dans le prestigieux quotidien «DIE TAT» (cf. en bas à gauche) sous le Titre «Les limites de la fertilisation avec les engrais de synthèse». Il remet en question l’enseignement traditionnel de la fertilisation et termine avec la phrase: «Manifestement, le sol ne s’appauvrit pas si, par une fertilisation organique dans les règles de l’art, l’agriculteur maintient une activité optimale de la vie invisible dans son sol.»
L’article provoque un écho formidable, de nombreux journaux le reprennent. Les collègues de l’EPF sont agacés; en même temps, le Conseiller national du PEV, Heinrich Schalcher, commence à s’intéresser au jeune professeur. Cela fait déjà un certain temps que Schalcher demande une station de recherches indépendantes pour l’agriculture biologique. Bien qu’on ait clairement expliqué à Matile qu’en tant que professeur de l’EPF, il devait s’exprimer avec plus de retenue en public, il tient en 1971 un exposé à Berne portant le titre «Protection de l’environnement et agriculture». Heinrich Schalcher reprend les principaux points de cet exposé pour défendre sa motion demandant la création d’une station de recherches en agriculture biologique auprès du Conseil national peu de temps après. La réaction du Conseiller fédéral responsable, Ernst Brugger, reste prudente: «Une hirondelle ne fait pas le printemps même si cette hirondelle est un professeur connu» (citation d’après Kupper 1996).
Les directeurs des stations de recherches me sont tombés dessus, à l’exception du directeur Bovay de la Station de recherches de Liebefeld, se rappelle Matile. Il est convoqué à une explication chez le Conseiller fédéral Brugger à laquelle participent aussi les directeurs des stations de recherches et le directeur de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG). À la fin de la séance, Ernst Brugger charge le directeur de lOFAG, Jean-Claude Piot, de négocier avec les représentants de l’agriculture biologique. «Nous fumions tous les deux la pipe, ce qui a permis de détendre sensiblement cette situation peu commode», se rappelle Matile.
Le groupe autour d’Heinrich Schalcher avait entre-temps décidé de fondé un institut de recherche sur une base privée. Matile joue à nouveau un rôle clé dans la recherche d’un site pour «l’Institütchen» (petit institut) comme il se plait à appeler la nouvelle fondation. Les contacts avec les propriétaires de la ferme «Burderholzhof» à Oberwil dans le canton de Bâle campagne sont noués par son intermédiaire.
Avec l’aide de Michael Rust, chargé de cours à l’EPF, Matile parvient à persuader Hardy Vogtmann, ancien doctorant à l’EPF qui séjournait au Canada pour un postdoc, de revenir en Suisse et de bâtir le FiBL fraichement fondé en tant que premier directeur de l’Institut.
Matile était, outre Jean-Marc Besson de la Station de recherches de Liebefeld, Hardy Vogtmann et le professeur de l’EPF Vittorio Delucci, aussi impliqué dans la planification de l’essai DOK.
Matile trouve que le nouvel institut a besoin d’un logo bien visible pour lui servir d’entête. Christian Brügger, un ami professeur de dessin, lui fournit toute une pile de propositions. Matile en choisie une, il en épure le dessin et voilà né le Bourgeon (cf. image de droite). Le Bourgeon a d’abord été le logo du FiBL (1974 à 1993) avant de devenir en 1982 aussi celui de l’Association des organisations d’agriculture biologique ASOAB, l’actuelle Bio Suisse. «Le Bourgeon restera ma trace la plus visible une fois que je serai mort», dit-il à la fin de notre discussion.
Cette observation est étonnante car Matile était l’un des plus remarquables botanistes et phytophysiologistes de son temps. Il a même été proposé pour le Prix Nobel pour ses recherches sur la sénescence des feuilles à l’EPF et à l’Université de Zurich. Publié en 1971, ce travail reste jusqu’à aujourd’hui une œuvre fondamentale souvent citée. De nombreux phytophysiologistes et biologistes moléculaires ont étudié ou fait leur doctorat avec lui.
Auteur: Thomas Alföldi
Informations complémentaires
Sources
- Interview avec Philippe Matile, menée par Thomas Alföldi le 1er avril 2011 pour la production d’une vidéo sur l’histoire de l’agriculture biologique en Suisse. Le film sera terminé début 2012.
- Kupper Patrick (1996): Aufbruch zum biologischen Bauern. Bewegungen im Biolandbau 1968‒1975. Travail établit dans le cadre du Wirtschaftshistorisches Seminar à l’Université de Zurich.
- Article dans DIE TAT du 22 octobre 1966
Liens
- biographien.kulturimpuls.org: Emil Meier-Vetterli
- orgprints.org: Littérature sur l’essai DOK Littérature sur l’essai DOK
- fibl.org: Événements importants
- bio-suisse.ch: Le Bourgeon
Personnes de contact au FiBL
- Urs Niggli, directeur du FiBL
- Thomas Alföldi, communication